Ce que cache (mal) le remaniement (2/2)

Publié le par Verdun

Après avoir envisagé ici les enjeux réels et masqués du remaniement en cours, allons plus loin dans l’exercice difficile de la prospective des 18 prochains mois, dont beaucoup constatent qu’ils seront décisifs.

Poursuivant érratiquement ses efforts pour tenter d’assurer sa réélection, mais sans disposer des marges de manœuvre suffisantes pour agir dans la réalité de manière plus « sociale » conformément aux attentes des français, le Président de la République risque de se retrouver confronté à trois situations :

-          Soit sa cote de popularité remonte, signe que le battage de médias mis au pas, associé à l’indigence intellectuelle de l’opposition peut encore porter ses fruits.

-          Soit sa cote de popularité se maintient, s’améliorant même légèrement selon les époques, sans représenter de réelles garanties pour une réélection ;

-          Soit sa cote de popularité s’effondre, faisant naître au sein même de sa famille politique des appétits fratricides et dangereux.

La première hypothèse n’est à ce jour pas sérieusement envisageable, eu égard notamment aux conséquences sur le long terme du conflit pour les retraites et à la désaffection, pour ne pas dire la répulsion tenace que le Président de la République déclenche chez des groupes de plus en plus importants de la population.

De plus, l’expérience des précédentes présidences montre qu’une remontée de popularité significative n’est possible que lorsque l’opposition arrive au gouvernement (phase appelée à tort de « cohabitation »), ou dans un contexte de très forte tension (guerre, troubles civils graves...) déclenchant un réflexe vers le pouvoir légitime quelqu'il soit. Toutefois, gardons-la en mémoire, car elle reste mathématiquement possible.

La deuxième hypothèse est la plus probable, en tenant compte du battage médiatique et des avantages en tous genres (y compris les moins légaux) que procure la maîtrise de tous les leviers du pouvoir exécutif, qui domine aujourd’hui sans partage la République (en ayant notamment soumis les deux autres pouvoirs institutionnels).

Dans ce cas, il est probable que devant la déception née de l'absence d'effet des "virages" divers et variés tentés successivement vers différents publics, alternant le retour aux fondamentaux et les ouvertures, éléments de langage devenus si fréquents depuis 2007.

Alors même que les effets systémiques de la Crise deviendront plus visibles, et plus dramatiques, la France se retrouvera ainsi privée du seul avantage de l’absence d’élections à tenir au cours de cette période : celui de la constance politique. C’est ainsi que notre pays risque d’être placé dans la même incapacité de décision que ceux qui vont connaître des blocages liés à des absences de majorité ou des cohabitations politiques (USA, Portugal, Belgique, Italie…).

En tout état de cause, l’élection de 2012 restera incertaine, et dépendra beaucoup de la crédibilité du candidat qui sera opposé au Président sortant.

Enfin la dernière hypothèse va nécessairement engendrer une réaction du pouvoir exécutif qui ne saurait accepter de voir ses ambitions déçues. Ces réactions sont difficilement prévisibles, mais le jeu de la politique du pire n’est pas exclu.

Il suffit pour s’en convaincre de revenir en novembre 2005, au moment où, face à une réaction sans précédent, le pouvoir exécutif parvient à retourner la situation à son profit, alors même que les causes des émeutes résident avant tout dans son bilan désastreux et son comportement (les raisons profondes des émeutes restent dramatiquement méconnues encore aujourd’hui).

Cette politique du pire est d’ailleurs déjà en action. Avec le temps et le recul, la disproportion et l’excessivité des moyens déployés pour enrayer la mobilisation des jeunes contre la réforme des retraites (voir par exemple ici mais à mesure que le temps passe, les informations affluent de divers endroits en France) montre que le pouvoir actuel ne reculera devant rien, ou pire, ne contrôle plus les échelons d’exécution intermédiaires de ses forces de l’ordre. On ajoutera l’absence totale de réaction des contre-pouvoirs législatifs et judiciaires, qui montre à quel point notre République est aujourd’hui dévoyée, et qui ne peut qu’inquiéter pour l’avenir.

A ce stade, il convient de rappeler ce que j’appellerai le "syndrome algérien".

Le syndrome algérien est un mécanisme politique malheureusement classique, permettant à un pouvoir illégitime de reprendre la main, en déclenchant sciemment des réactions excessive de l’opposition ou des populations, pour se présenter comme le garant de l’ordre et bénéficier ainsi d’une relégitimation aussi bien au regard des institutions internes du pays (administration, police, armée…) que des autres pays de la communauté internationale.

L’exemple classique est celui de l’Algérie de 1991. A l’issue des premières élections législatives libres, le parti arrivant en tête au premier tour est le Front Islamique du Salut (FIS), avec 47,3 % des voix, devant le FLN (23,4 %), et le Front des Forces Socialistes (7,4 % des voix).

Sur les 430 sièges, 221 furent pourvus dès le premier tour, mettant fin à trente année de règne du parti unique FLN.

Or, le second tour n’eut jamais lieu puisque le lobby militaro-industriel algérien, qui craignait de perdre le pouvoir, préférât déclencher un coup d’état, annulant les élections et arrêtant les opposants (dont les nouveaux élus), ce qui engendra une guerre civile qui dura 10 ans. Au bout de cette décennie terrible, les putschistes triomphèrent, notamment grâce à l’aide internationale.

Sans bien sûr, verser dans le catastrophisme, il est certain qu’une nouvelle chute de popularité déclencherait une réaction du pouvoir en place dont les conséquences seraient totalement imprévisibles. Face à ces conséquences, qui pourraient être dramatiques, une réélection des dirigeants actuels n’étant pas exclue.

Il est bien évidemment trop tôt pour apprécier comment interféreront les enjeux de politique interne (réélection du Président actuel) et les nouvelles étapes de la Crise systémique.

Toutefois, les grandes lignes envisagées ci-dessus, qui gagneraient à être affinées, ne peuvent qu’inquiéter pour l’avenir.

Dans tous les cas, la déconstruction républicaine dont je continuerai à faire la chronique ne va pas cesser.

Au passage, on relèvera que mes prévisions du premier billet se sont vérifiées, confortant la deuxième hypothèse, par la mise en place d'une équipe de campagne resserrée, montrant bien qu'alors que la Crise s'aggrave, la mobilisation générale des membres du gouvernement portera sur un autre objet, cristallisant un nouveau rendez-vous manqué en 2011.

 

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